Il y a quelques jours, j’étais dans ma rame de métro, de retour du boulot, l’esprit qui vagabondait comme d’habitude, mais le corps tout de même positionné à la place parfaite pour ne gêner personne à la descente et pour pouvoir me précipiter pile à l’ouverture des portes quand mon tour sera arrivé. Grange-Blanche, Montplaisir, Sans Souci, les stations passent, je regarde l’heure, si mon Iphone est bien toujours bien aligné avec l’horloge du quai, parfait.
A Sans-Souci, je crois, les portillons sont particulièrement près de la rame et même si la petite musique retentit alors vous avez toujours le temps de passer votre carte et de sauter dans le dernier wagon, pile à ma porte, ma porte chérie où je gagne encore quelques secondes avant de rentrer chez moi. Ce soir, c’est une dame, peut-être 45 ans, je ne saurais pas vraiment dire, d’ailleurs je suis franchement mauvaise à ce jeu « quel âge tu me donnes ? » je me trompe le plus souvent alors je préfère ne pas m’avancer et fermer ma gueule le plus souvent possible.
La fameuse petite musique du métro retentit, la femme accélère, passe sa carte, elle ne marche pas très rapidement, elle semble bien connaître elle-aussi le laps de temps qui la sépare du « j’ai encore bien le temps » à « c’est le dernier délai avant que » jusqu’à finalement, comme à chaque fois, la fermeture définitive et abrupte des portes, ch’plaf, un couperet.
Ce soir apparemment, elle a eu du mal compter : la voilà qui se retrouve coincée, à moitié dedans à moitié dehors, une femme sandwich dans un pain de métal orange. Là, 1 seconde passe, on se regarde, un laps de temps durant lequel mon esprit revient à lui, pour tout naturellement, le plus logiquement du monde, tirer l’une des lourdes portes et enclencher le mouvement automatique de recul de celles-ci. Et il en faut de la force du poignet, je lutte un peu, personne ne fait rien, je comprends souvent on met du temps à atterrir, à sortir de notre torpeur, moi-même j’ai eu un temps de pause passablement idiot avant d’aider cette pauvre dame pressée.
Les portes s’ouvrent, la dame saute. Mes bras semblent avoir un peu de force, je suis contente de moi et j’attends comme un chien face à l’os tenu par son maître, comme un chat face à la croquette imaginaire que je tiens dans mon poing fermé, j’attends moi aussi ma petite récompense bien mérité.
Et puis rien.
La dame lisse ses vêtements, me regarde et s’enfonce plus loin dans la rame.
Le métro redémarre, je me sens trahie, moi toute rouge d’avoir utilisé mes bras gringalets, toute essoufflée d’avoir voulu bien faire, d’avoir voulu être cette gentille petite personne pleine d’empathie. Je pense : on ne m’y reprendra plus, la prochaine fois, elle se débrouille, la prochaine fois, ils se débrouilleront tous, allez donc tous vous faire voir. Et je trépigne.
La prochaine sortie est la mienne, je plonge sur le quai dès l’ouverture des portes.
Je me demande ce que j’ai pu faire de mal, je mets en parallèle ce fait avec toutes les impolitesses quotidiennes qui nous tranchent comme des biftecks encore saignants, ces regards de haut face à votre bonjour enjoué, ces portes tenues au cinéma sans aucun merci en retour, ces merci que personne n’entend, ces « pardon, excusez-moi » balayés d’un claquement de langue par votre interlocuteur qui pense que vous avez fait exprès de lui marcher sur le pied, comme si cela pouvait faire partie d’un quelconque fétichisme, c’est bien connu.
Quelques jours plus tard, dans cette même rame, à cette même heure, à cette même porte, une petite fille dans une poussette mâchonnait un petit chat en peluche. Elle m’a sourit, moi-aussi, et puis on s’est tout de suite oubliées.
A Sans-Souci, voilà sa mère qui redémarre, enlève le frein de sa poussette, se prépare à sortir en marche arrière. La petite fille arrête de mâchonner mais moi, je ne regarde pas. Les portes s’ouvrent, la maman sort, la poussette toujours tournée vers la rame. J’entends très distinctement, d’une voix très fluide « Aurevoir ! » et une petite main qui remue gentiment, sans s’arrêter. « Aurevoir ! » je fais, gênée, étonnée, remuant la main moi-aussi.
Je ne suis pas sûre qu’elle ai eu le temps de me voir et j’ai eu très envie de lui courir après pour être sûre. Je souriais bêtement. Et puis j’ai eu très envie de pleurer.
0« On comprend ainsi l’importance de l’« échange » et de la « réciprocité » dans les pratiques sociales : on ne reçoit rien sans donner quelque chose (même de symbolique) en retour : on invite qui vous a invité ; on répond aux lettres ; on remercie la vendeuse qui vous sert…
Les situations d’équilibre induisent chez les protagonistes un sentiment de justice, de stabilité et de satisfaction ; alors qu’une relation déséquilibrée engendre plutôt le malaise et la frustration »
Politesse, savoir-vivre et relations sociales
Dominique Picard