En septembre dernier, la mairie de Lyon a annoncé un projet de reconversion assez spectaculaire pour l’église Saint-Bernard, située sur les pentes de la Croix-Rousse.
Dès 2019, l’ancienne église désaffectée va être transformée en un lieu de vie avec des restaurants, cafés mais aussi des lieux de coworking pour des agences de communication, des agences web…
Un projet assez fou, qui n’est d’ailleurs pas du goût de tout le monde, mais qui permet de se replonger dans l’histoire secrète de cette église Saint-Bernard, au coeur du franc-maçonnisme et des arrêtes de poissons lyonnais.
Si, comme moi, vous aimez vous balader dans Lyon, ne serait-ce que pour le plaisir de l’architecture, l’église Saint-Bernard ne doit pas vous être inconnue. Située dans la montée Saint-Sébastien dans les pentes de la Croix-Rousse, toute proche de la place Colbert, l’édifice impose par sa taille et par le sentiment qu’elle risque à tout moment de tomber en morceau, sentiment accentué par le fait qu’elle a été construite dans une pente raide et qu’elle domine entièrement la place.
Cela fait plus de 10 ans qu’elle a été fermée au public, en témoigne son lourd portail et ses panneaux d’interdiction : seuls probablement quelques chats sauvages (vus) et urbexeurs (pas vus, mais c’est plus que probable) continuent à prendre possession des lieux, sans parler de la végétation environnante.
Mais les choses devraient rapidement changer puisque la mairie de Lyon a dévoilé un grand projet de reconversion totalement inédit à Lyon : transformer cette église en lambeaux en centre d’affaires très web, autour de restaurants et de lieux de coworking.
Dès 2019, l’église devrait donc reprendre vie, mais loin des chants lithurgiques, ce qui fait d’ailleurs pas mal grincer des dents une association de catholiques traditionnels rattachés à Saint PIE X, comme les Amis du Bon-Pasteur et de Saint-Bernard de la Croix-Rousse, qui tentent en vain depuis de nombreuses années de faire rouvrir cette église mais pas de la façon dont l’entend la mairie, vous l’aurez bien compris.
En réalité, ce qui nous intéresse aussi, plus loin que ce bras de fer et cette réhabilitation, c’est en fait ce qui se passe en dessous de l’église.
Je suis un peu tombée sur cette histoire lors de la lecture du livre de Walid Nazim « L’énigme des arrêtes de poisson » (que je conseille) alors que je me penchais sur les souterrains lyonnais, qui semblent bien plus fous que les catacombes parisiennes mais qui, pourtant, restent toujours aujourd’hui, près de 60 après leur découverte, toujours mystérieux… et fermés au public.
Au-dessus néanmoins trône, lugubre et triomphante, l’église Saint-Bernard, désacralisée en 1999 et complètement fermée au public en 2004.
Une photo de dingue sur un compte Instagram génial, merci à Nestor Poireau pour le lien <3
Et selon certains, elle serait en fait une des clés, peut-être la clé, du réseau des arrêtes de poissons lyonnais, ces derniers permettant d’expliquer à la fois sa construction, mais aussi sa fermeture.
Reprenons du début.
Une église Saint-Bernard construite grâce au Franc-Maçonnisme lyonnais
Cette église n’a pas une histoire franchement extraordinaire ou des particularités notables : pour preuve, difficile de trouver beaucoup d’ouvrages qui s’intéressent à elle, même dans le fond bibliographique bien fourni de la bibliothèque municipale de Lyon. Le rendez-vous est pris au 4ème niveau de cette dernière, où se situent les ouvrages dédiés au fond régional et j’ai beau chercher, très peu d’ouvrages parlent de cette église dont les travaux de construction débutèrent seulement en 1857.
La particularité néanmoins, c’est que l’église fut construite sur un terrain offert par la famille Willermoz, plus spécifiquement les héritiers de Jean-Baptiste Willermoz, un très grand Franc-Maçon lyonnais, qui fonda le Régime Ecossais Rectifié, en réformant la Stricte Observance Templière, rite maçonnique qui revendique une filiation templière (les francs-maçons seraient les descendants, réels ou seulement d’esprits, des Templiers).
Vous suivez ?
Mort en 1824, il ne laisse aucun fils, et lègue sa fortune à des neveux avec une exigence : céder une partie de ses nombreux terrains de la croix-rousse à la ville, pour y faire construire une église, qui devra se nommer Saint-Bernard, du nom à la fois du couvent des Bernardines, congrégations de bonnes soeurs cisterciennes qui habitaient sur ces terres avant la révolution française, mais aussi du nom du protecteur des Templiers.
Et ce qu’avance Walid Nazim dans son ouvrage est que la construction d’une église nommée Saint-Bernard, à cet emplacement exact était la condition Sine Qua Non de la cession de ce terrain à la ville : d’ailleurs, les neveux l’ont vendue à la mairie à un prix bien en deça de sa valeur, demandant simplement que des messes soient tenues dans l’église pour la famille Willermoz et que l’édifice se nomme bien Saint Bernard.
Terminée (ou presque) en 1866, sans clocher et sans escalier monumental faute d’argent, l’église Saint Bernard subit des dégats suite au creusement du funiculaire de la Croix-Rousse en 1888. Elle fut néanmoins utilisée pendant de nombreuses années, et fermée définitivement dans les années 90.
Cette demande, très particulière, soulève des interrogations : pourquoi la cession de ce terrain précis était-elle liée spécifiquement à la construction d’une église nommée Saint-Bernard ?
Pourquoi Willermoz avait-il voulu cela dans son testament ?
Quel était l’intérêt pour la famille Willermoz et pour les francs-maçons lyonnais, représentés par la famille Willermoz ?
Un point d’entrée pour le réseau des arêtes de poisson lyonnais ?
Située pile-poil au dessus des arêtes de poissons, construite selon le souhait du plus grand franc-maçon lyonnais, l’église Saint Bernard ne pourrait-elle pas permettre d’entrer tranquillement dans les fameux souterrains ? C’est en tout cas l’hypothèse qui a été plusieurs fois soulevée : le réseau des arêtes de poisson serait directement accessible par un passage situé dans l’église, pour permettre aux personnes introduites de naviguer simplement dans les souterrains.
Ce qui se trame derrière ? Selon Walid Nazim, toujours, les Arêtes de Poisson, dont on ne connait ni la date de construction, ni le but, seraient en réalité un lieu dédié à cacher un des plus grands trésors de tous les temps : le fameux trésor des Templiers.
Une supputation énorme, grandiloquente et qui peut prêter à sourire, même l’auteur l’admet. Mais à la lecture de son ouvrage, effectivement, on comprends que ces arrêtes ne pouvaient simplement pas être des tunnels servant au transport de l’eau (une hypothèse plusieurs fois évoquée), ou au transport secret de militaires ou de nobles (tunnels trop sophistiqués et répondant à un plan extrêmement complexe et unique dans le monde)…
Selon Walid Nazim, le charnier d’ossements de 4 à 5 mètres cubes découvert en 1959 dans l’une des galeries pourrait s’expliquer par l’aspect extrêmement secret de la construction qui aurait obligé les dirigeants à enterrer vivants les personnes ayant participé au creusement des tunnels.
Et quoi de plus secret que le trésor des templiers ?
Cette information aurait été ensuite conservée secrètement plusieurs siècles durant sans pour autant mettre la main sur le magot, bien caché au fond des entrailles des arêtes de poisson. Et c’est grâce à la découverte de nouveaux documents au 19ème siècle qu’il aurait pu être cette fois mis au jour et… dilapidé.
Un lien avec l’abbé Saunière de Rennes le Château ?
Alors là, l’histoire prend des proportions sans précédents. Accrochez-vous sérieusement à votre fauteuil.
Déjà, j’espère grand dieu que vous connaissez l’histoire de Rennes-le-château ?
Ayant un papa féru d’histoire et surtout d’histoires insolites (il possède un détecteur de métaux c’est pour replacer le contexte) c’est tout logiquement qu’ils nous a traîné dans l’Aude pour découvrir, en vrai et en tangible, la fabuleuse histoire de l’Abbé Saunière de Rennes-le-Château.
L’histoire d’un curé de village tout à fait modeste qui entrepris, dès le début des années 1890, des travaux digne d’un prince saoudien pour son église, son presbytère et pour l’ensemble de ses appartements.
Aujourd’hui, personne ne sait encore d’où a pu venir sa subite richesse mais il s’avère qu’ils ont été nombreux à creuser dans le village à la recherche du reste du trésor.
L’histoire n’a pas encore pu démêler le vrai du faux et peut-être qu’aucun trésor n’a jamais été trouvé par l’abbé. Il n’empêche que ses travaux entrepris, sont, pour les avoir vu de mes petits yeux, totalement démesurés. Je crois donc vraiment que notre ami Saunière a bien bénéficié d’une grosse somme d’argent, soit par des malversations que nous ne connaissons pas, soit parce qu’il aurait effectivement trouvé un trésor. Et si la théorie la plus couramment admise serait celle d’un trésor caché dans le village, Walid Nazim, lui, pense que l’Abbé Saunière aurait obtenu de l’argent grâce à ses amis francs-maçons lyonnais.
En effet, Saunière s’est rendu à Lyon de façon régulière à la fin du 19ème siècle (entre 1898 et 1900), pour de curieuses affaires. Il y possédait une adresse lyonnaise, rue des Macchabées et son nom a aussi été retrouvé sur le registre d’une loge Martiniste (sans rentrer dans les détails car je ne suis absolument pas spécialiste, mais le Martiniste est en fait une sorte de congrégation, mais ne fait pas partie réellement de la Franc-Maçonnerie.
En revanche, et c’est là que ça devient intéressant, le courant Martiniste et le Régime Ecossais Rectifié, courant franc-maçon fondé par Willermoz comme j’ai pu expliquer plus haut – ceux qui n’ont pas suivi au coin avec 10 lignes – ont eu des relations très privilégiés à Lyon à la fin de la vie de Jean-Baptiste Willermoz).
Des documents d’archive montrent ainsi que l’Abbé Saunière a passé des commandes particulières, comme un appareil photo à objectif, des jumelles longue-vue mais a aussi eu des rendez-vous plutôt mystérieux à Lyon, avec un orfèvre-bijoutier et même un négociant en pierres précieuses.
La thèse de Walid Nazim ?
L’abbé Saunière aurait bien trouvé des documents d’archive à Rennes-le-Chateau, permettant de remonter la trace précis, avec l’aide des francs-maçons lyonnais, du lieu du trésor des templiers, au coeur des arêtes de poisson.
Alors oui, nous sommes partis très loin depuis l’église Saint Bernard.
Comme d’habitude, quand je raconte une histoire, d’autres histoires s’entremêlent mais ce sont aussi elles qui permettent de mieux comprendre le point de départ. Et les points d’interrogations nombreux rappellent que nous ne sommes là que sur des supputations et des thèses étayées par un auteur qui n’est ni historien, ni spécialiste.
Depuis la montée Saint-Sébastien, l’église Saint-Bernard était déjà étrange et ce projet de réhabilitation soulevait pas mal d’interrogations. A tous les protagonistes déjà présents (mairie de Lyon, association de catholiques lyonnais) on rajoute une couche d’histoire et là, on découvre un autre monde sous le monde.
Moi cela m’a juste donné envie d’y faire un tour et de trouver une entrée secrète sous une statue ou un trésor dans une stèle. Quoi, j’aurais trop d’imagination ?
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There are 2 comments
Très intérressants comme article et comme histoire.C’est la première fois que j’entends parler d’un souterrain à Lyon avec tant de secrets inexplicables aprés celui du gouffre de Padirac dans le Lot. Je suis passionné par de tels endroits .Merci à Nazim pour les précisions et surtout à Justine D de nous avoir éclairé par cette « Dose »
Avec plaisir ! C’est moi aussi un sujet qui me passionne, d’autant que le mystère est vraiment immense. Le livre de Walid Nazim est vraiment une bonne lecture : j’en explique une grande partie mais je ne suis pas rentrée dans certains détails, qui sont encore plus barrés.