Alors que la France s’apprête à commercialiser les premiers auto tests rapides pour la détection du virus du Sida, je me demande encore si chacun mesure bien les conséquences de cette maladie.
Serions-nous aujourd’hui arrivés à un point où cette maladie n’effraie plus personne et surtout pas les jeunes ?
Quel message est envoyé par les autorités et le secteur militant ?
Entre banalisation et stigmatisation, le Sida n’est plus au centre des préoccupations.
Les années 80, je ne les ai pas vécues. Comme nombre d’entre vous, j’étais à peine capable de comprendre le monde qui m’entourait, voire seulement geignarde dans les bras de ma mère. L’épidémie du sida n’a pas été significative pour moi.
Du peu que je me souvienne de mes 20 dernières années, le sida c’était plutôt cette maladie qui faisait mourir des nouveaux-nés rachitiques en Afrique subsaharienne ou des camés d’un âge indécis. Les autres, les gens plus proches, les jeunes, les européens : ceux-là ne mourraient pas, ou plus et vivaient tout à fait décemment de très longues années.
Cette ambiguïté nous poursuit toujours aujourd’hui, alors même que la population séropositive française se stabilise.
6100 personnes ont découvert leur séropositivité en 2011, chiffre proche de celui de 2007, et plus de 150 000 français seraient aujourd’hui contaminés par le VIH.
Le sida qui tue, qui rend malade, qui handicape, ça, difficile d’en entendre parler : aucune audience ni aucune médiatisation depuis la fin des années 90 et l’amélioration des traitements médicamenteux.
On nous dit « protégez-vous » oui mais de quoi ? Quel jeune est aujourd’hui capable de mesurer les conséquences d’une maladie qui nous semble si lointaine, si propre, si indolore ?
Une vraie difficulté pour le militantisme, qui alterne entre discours stigmatisant mais aussi simple rappel à la protection contre une maladie que l’on banalise facilement.
Et puis on a eu il y a quelques années cette médiatisation des barebacks. Des homosexuels qui choisissaient, tant pour le plaisir de la transgression que pour une envie de liberté, de vivre leur sexualité en affichant le sida ouvertement… et en le partageant.
Des rapports non protégés, souvent en groupe, où l’on ne souhaitait pas suivre la politique de protection décemment admise et vivre sa sexualité comme on l’entendait, quitte à multiplier le nombre de malades en France.
Je vous invite à regarder cette vidéo de « Tout le monde en parle » (avril 2003) où Victoire Patouillard, présidente d’Act Up, dénonce la médiatisation des barebackers, notamment grâce à Thierry Ardisson et à ses différentes émissions.
Le Sida, une maladie choisie ? C’était un peu le discours ambiant, oui.
Vous voulez une sexualité déviante, risquée ? C’est votre problème : ce n’est plus une problématique de santé publique.
C’est pourtant prendre le sujet dans un sens tout à fait erroné : la sexualité n’est pas, par essence, un acte raisonné, d’autant plus dans le prisme actuel d’une démultiplication des partenaires et des expériences.
Et ce sont les jeunes les plus durement affectés.
Difficile à 17 ans de prendre le recul nécessaire face à une maladie dont les effets sont bien souvent mésestimés.
En témoigne bien évidemment le porno, le plus souvent sans aucune protection (l’esthétisme, l’envie d’être plus proche de la réalité, de ne pas couper l’acte ? J’en doute) mais aussi des séries destinées aux ados comme la défunte Skins, où, malgré une sexualité absolument active, pas l’ombre d’un préservatif ne venait s’immiscer dans la scène.
Personnellement et sans être militante, je ne trouve pas cela normal.
Aujourd’hui, des chercheurs français semblent avoir trouvé un moyen d’éradication complète du VIH (qui a pour sale habitude de se loger dans les macrophages, des cellules capables de garder la maladie pendant des années), le chemin est encore long avant l’éradication de la maladie, qui reste encore une maladie chronique dont on ne guérit pas.
A la prise de conscience et à l’urgence sanitaire des années 90 se sont succédé plusieurs années d’un oubli dangereux, d’une banalisation de la maladie, à l’instar de la recrudescence de nombreuses infections sexuellement transmissibles.
Pour Hervé Latapie, interrogé sur Rue89 en 2012, c’est vers un véritable « travail de mémoire » qu’il faut se diriger, en relançant le dialogue, notamment dans les médias.
Pour moi, c’est aussi relancer l’effort de pédagogie en montrant que non, mettre un préservatif, ce n’est pas être rabat-joie.
Pour aller plus loin : je vous conseille la série suédoise « Torka aldrig tårar utan handskar » ( « N’essuie jamais de larmes sans gants » ) qui raconte l’histoire du sida dans les années 80 à Stockholm, malheureusement pas encore disponible en offre légale.
0